Non le titre n’est pas une faute de frappe ! Le Ngalakh ? Il s’agit d’une tradition Sénégalaise à Pâques : les familles chrétiennes préparent un plat traditionnel appelé le Ngalakh (prononcer ngalarr), et le partagent avec tout leur entourage.
Apparemment la préparation est très longue, fruit d’années de traditions. C’est notre amie Rose qui m’explique cela. J’ose lui demander si je pourrai venir participer à cette préparation, elle accepte. RDV est pris pour le Jeudi Saint au soir, mais attention, ça prend toute la nuit.
Toute la nuit ? Oups… dans quoi me suis-je engagée !
Le Jeudi Saint arrive, première question : comment me rendre chez Rose ? Ici, il n’y a pas d’adresse… compliqué donc de trouver la maison ! Certes, nous avons déjà été chez Rose en Septembre, mais autant vous dire qu’il me sera impossible de retrouver la ruelle parmis tous les quartiers de Kaolack… Heureusement, finalement on ira ensemble après la célébration du Jeudi Saint !
On arrive, il est environ 21h.
Je suis impatiente de commencer. Pourtant pas question de démarrer le travail tout de suite.
Ici, on prend son temps. La priorité, c’est d’être ensemble. La soirée démarre donc par un bon repas familial : un très grand plat est préparé (70cm de diamètre). On y met un gros matelas de salade verte bine assaisonnée, 4 poissons frits, on agrémente de légumes cuits vapeur; quelques rondelles de tomates et concombres finiront la décoration ! Je n’ai pas pris de photo…
Le plat est posé sur une table basse à l’extérieur de la maison, nous sommes 9 à nous installer autours : Rose et son mari, sa sœur Anna et ses 2 filles, une amie Sophie, Ousmane un voisin, Emilie et moi-même. Un bénédicité est prononcé, puis « à l’attaque ». Au choix : fourchette ou avec la main droite. Je me sens un peu perdue car je ne connais pas encore correctement le savoir-vivre Sénégalais, donc je fais comme la maitresse de maison, avec la main… Heureusement, chacun est bienveillant à mon égard et je les sens un peu amusés de me voir préparer avec difficulté les petits paquets de salade. On se régale, la sauce est bien relevée aux oignons, mais sans piment !!!
Les blagues fusent, en wolof. Je ne comprends pas tout mais chacun est très joyeux. Puis « tu iras en enfer » sort en français ! je demande de explications : il s’agit du débat pour savoir qui fera le thé ce soir ! Sophie refuse car une fois qu’on est au travail ce n’est pas possible. Ousmane l’a déjà fait cet après-midi… finalement ce sera Ousmane ce soir aussi !
Certains ont jeûné aujourd’hui (et jeûneront demain aussi), pourtant le repas reste très équilibré et modéré.
On termine avec un morceau de pain qui permet de faire des petits sandwiches. Repus nous sommes ! Débarrassage rapide et ça y est, on démarre, il est environ 22heures. 2 autres femmes arrivent : Fatou une voisine et Aissatou une amie de longue date.
La préparation du Ngalakh a en réalité démarré depuis plusieurs semaines : achat des ingrédients, tamisage de la farine de mil, réalisation des grains de Arow, puis 2 cuissons successives à la vapeur. Cette dernière étape a été faite ce matin, à 3h. Rose doit être épuisée mais rine n’y parait : sourire et bonne humeur sont là ! 3 énormes bassines remplies de grains dorés et chauds nous attendent.
On s’installe dans la cour arrière de la maison, chacune a un grand saladier en inox ou une bassine, dans lesquels on met des grains « secs » (5 gros écumoires) que l’on égraine avec 1 louche de beurre, 1 bol de sucre et un peu de sucre vanillé. C’est brulant au départ : c’est ça qui fait fondre le beurre. J’ai la main en feu, mais Emilie qui partage le même saladier que moi ne se plaint pas, elle plonge vigoureusement dans la semoule brulante et me demande de la laisser faire au début pour pas que je me brûle… Quelle gentillesse. Mes pauvres mains sont bien peu habituées à travailler : chez nous on utilise tout le temps un ustensile. Quand les grains sont correctement séparés, on ajoute des raisons secs, de la noix de muscade et de la noix de coco râpée et grillée dans du sucre. Dernier brassage avant que notre préparation rejoigne la bassine des « grains prêts », puis on recommence avec un nouveau saladier.
Fatou me dit de prendre des photos, de filmer. On refait les scènes quand j’ai coupé avant la muscade. Rose explique pourquoi chaque geste, chaque ingrédients… Ici on partage son savoir-faire.
Chacun participe à son rythme. Ousmane nous apporte le fameux thé (à la menthe et très sucré). Chacune à notre tour, on boit un petit verre. Il fait chaud mais dehors un léger vent souffle. Ce soir, le ciel est noir on ne voit quasiment aucune étoile. La pleine lune laisse infiltrer sa lumière en éclairant quelques nuages, spectacle magnifique et effrayant. Ce soir c’est Jésus au jardin des oliviers oublié de ses disciples endormis. Nous, on veille !
Je ne sais pas combien de saladier on a égrainé, peut-être 8 ou 10 chacune ? Sachant que nous sommes nombreuses à travailler, la quantité est énorme ! Au départ les femmes sont habillées avec leur jolies robes traditionnelles, aux tissus multicolore. Petit à petit, les T-shirt apparaissent, et les pantalons courts ou les jean sortent des placards ! Finalement, on finit toutes en tenue « de travail ». Il est 23h30 quand on termine les grains.![]()
Maintenant place au jus.
Rose a acheté 2 sacs et demi de « pain de singe » (il s’agit d’immenses sacs d’agriculteurs). Le pain de singe, pour ceux qui ne connaissent pas, c’est le fruit du baobab. Il est composé d’une écorce dure comme du bois qui protège une délicate chair complètement sèche : une sorte de poudre blanche agglomérée sur un réseau fibreux et des grains noirs.
On utilise une grande boite de conserve pour calculer la quantité : 10 boites de pain de singe dans une bassine, avec 80l d’eau. On mélange rapidement et on tamise pour jeter la première eau (qui est acide). On remet 80l d’eau et de la pâte d’arachide (un seau et demi). Que de manipulations. Je suis en admiration
On remplit 6 bassines de 80l, soit 480L en tout !!!
Puis vient le temps du brassage. On plonge son bras dans cette eau chaude (ici l’eau du robinet sort à 30-35°C), on malaxe la pâte d’arachide (texture nutella), on écrase les agglomérats de pain de singe. C’est tout doux, onctueux, chaud ! Je découvre cette sensation incroyable.
Je commence à avoir la main et le bras droit épuisés de ces mouvements. On malaxe, on malaxe… On va voir dans la bassine des voisines si c’est identique ou non. Réponse non : plus ou moins chaud, plus ou moins doux : plus la poudre de pain de singe s’est dissoute dans le jus, moins c’est doux : le réseau filandreux a été mis à nu !
Vers 1h30, c’est à peu près terminé, il faut maintenant retirer le réseau fibreux et les graines. Pour cela 5 étapes : d’abord on les retire grossièrement avec des paniers en plastiques percés de petits trous. Puis on passe dans une immense passoire en plastique. Enfin, on fera 3 tamisages fins dans des tamis de 70cm de diamètre. A chaque fois, on rince ce qui est resté dans le tamis et la bassine.
Au dernier tamisage le jus obtenu est lisse, sans aucune partie filandreuse, il est versé dans des grands futs : un de 200L, 2 de 100L et une grosse bassine de 80L.
Ousmane nous rejoint et soulève les immenses bassines de 80L (on commence quand même par les vider de quelques seaux).
C’est long, fatiguant, salissant… Mais chacun garde sa bonne humeur. On commence à tamiser à 1h30, on termine à 2h45.
A peine le dernier passage au tamis, c’est le ménage qui commence. Autant vous dire qu’en manipulant nos bassines, on ne a mis partout ! On dirait que les rôles ont été distribués à l’avance tant l’efficacité est grande ! Un premier passage de balais pour retirer les morceaux, puis un 2ème avec jet de seaux d’eau pour retirer le gras, la raclette et la serpillère. Hop hop hop, en 10 minutes, la terrasse est nettoyée.
Reste encore la vaisselle : un monceau de vaisselle, même pendant les camps scoute, je n’ai jamais vu autant de vaisselle : a notre vaisselle du Ngalakh s’ajoute celle du diner. On est partis pour 3 bains : grattage, dégraissage, rinçage. Je commence à être au-delà de la fatigue, mais apparemment je suis la seule (à part Sophie montre des signes de sommeil). Tous les autres continuent à s’activer. Emilie et Rose en tête de liste : à coup de tampon-jex elles frottent les immenses passoires, casseroles, marmites et autre… Penchées en avant car on travaille au sol. Pour ma part je suis privilégiée : on m’apporte un petit tabouret que j’accepte bien volontiers pour me soulager les jambes et le dos. 3h30 : vaisselle terminée !
On a maintenant 4 futs à épicer : sucre, sucre vanillé, fleur d’oranger et essence de coco permettront de relever le gout du jus. Comme le fut fait 200L et 1m de haut quasiment Rose a du commander une cuillère en bois de dimension spéciale au menuisier voisin. Elle l’appelle sa pagaie ! 1m20 de haut. Je brasse 3 minutes c’est épuisant : il faut aller gratter le fond pour bien mélanger le sucre.
Savant dosage des arômes, chacun goute et donne son avis : un peu plus de ci, un peu plus de ça… je goute c’est excellent !!!
Les étapes sont quasiment terminées, il est 3h45 « je rends mon tablier »… épuisée, mais comblée d’avoir été accueillie si chaleureusement. Pour ces femmes, l’accueil est naturel ! On partage un savoir ancestral qui me parait d’une richesse exceptionnelle. Je me rappelle déjà nos vieilles dames françaises qui n’ont jamais voulu révéler leur recette du gâteau bidule car… c’est leur secret. Je ris en pensant à ça.
J’admire la gentillesse toute simple, la patience, le savoir faire-ensemble ici ! Puis-je en remporter un peu, puis-je ne jamais oublier cette expérience incroyable !
Merci Rose, Merci Emilie, Merci Sophie, Merci Anna, Merci Fatou, Merci Aissatou et Merci Ousmane.
4h15, je suis enfin dans mon lit !
Pour le reste de la troupe, la nuit continue : ils vont préparer des seaux de 5L avec des graines et disposer le jus dessus. Ils ne se coucheront pas.
A 7h, Rose appellera un taxi dans le coffre duquel elle mettra 20 seaux et elle partira faire sa tournée dans la ville pour distribuer les seaux à tous ses amis. Il lui faudra faire 2 tournées. Au total 80 familles recevront un seau de Ngalakh, à chaque fois 5 à 10 personnes dans la famille. C’est donc plus de 400 personnes qui apprécieront ce travail.
Rose espère terminer ses tournées vers midi, ce qui lui permettra de rentrer se laver avant de participer au chemin de croix vivant à 15h en plein soleil, puis à 18h30 à la cérémonie de vénération de la croix, le tout en jeûnant. Elle pourra enfin aller enfin se coucher en rentrant.
J’admire ce courage, cette énergie, cette joie…
Pâques se prépare dans les coeurs tous les jours de l’année ici !!!
Amélie
PS : réveillée par les enfants au petit matin, j’ai trouvé tout mon bras droit plein de courbatures. L’avant-bras et la main étant de loin les plus endoloris ! Petite nature je suis…